Diablesses ou déesses, les mantes sont des piliers de la mythologie et des croyances populaires. L a Mante religieuse, appelée aussi « prie-Dieu » (« préga- diou » en Provence) ou « bigote » (en raison de ses pattes repliées et jointes), est sans conteste un des insectes les plus spectaculaires et aussi l’un des plus mystérieux, avec son corps gracieux et élancé, ses pattes ravisseuses barbelées d’épines acérées, sa tête triangulaire montée sur pivot. Selon J.H. Fabre, c’est le seul insecte qui dirige son regard.
On trouve des exemples significatifs du mystérieux regard de la mante. Aristarque rapporte que « c’est son regard même qui cause le malheur de celui qu’elle fixe ». Dans la Rome antique, où elle avait de grands pouvoirs magiques, lorsqu’un homme tombait subitement malade, ne lui disait-on pas : « la mante t’a regardé » ? L’homme n’a jamais cessé de la considérer avec crainte et respect. Pour les Turcs qui voient dans la position de ses pattes la direction de La Mecque, la mante est sacrée et vénérée :gare à l’homme imprudent ou malveillant qui voudrait lui faire du mal !
L’ange déchu
La mante représente souvent la malchance et le mauvais œil, étant même appelée « l’agent du diable » aux Etats-Unis. Une autre facette de cet être diabolique, beaucoup plus effrayante, nous vient des Grecs anciens qui la nommaient « Mantis » la prophétesse (que Karl von Linné repris pour la baptiser), voyant dans son attitude une sibylle. Ils croyaient que son apparition annonçait la famine pour l’homme et le malheur pour tous les animaux qu’elle rencontrait.
Il semble par ailleurs que la mante à « robe brune », beaucoup plus courante dans les régions sèches de la Méditerranée, ait une réputation plus sinistre que sa variante verte.
Une légende raconte que la mante est la fille du diable, tellement méchante qu’il la transforma en religieuse. Mais Dieu ne pouvant l’accepter, il la changea à son tour en mante. Dans plusieurs contes, les mantes sont des religieuses qui ont trahi leur vœu de chasteté auprès des Barbares ou du Diable lui-même. Leur punition : être transformées en mantes et prier le restant de leur vie.
Le comportement particulier de la femelle qui dévore parfois le mâle juste après l’accouplement nous amène à évoquer les vampires. Ces créatures maudites, ces « nonmorts » qui se repaissent du sang de leurs victimes, ont aussi un grand appétit sexuel. Aussi, rien d’étonnant à ce que la mante incarne le vampirisme: selon J. Markale, « l’accouplement et la manducation de la mante sont les deux phases d’un même acte sacré par lequel s’accomplit le transfert d’énergies » (le sang de la vie et le sperme qui engendre la vie). Le mot « mante » désignait autrefois un vêtement féminin ample et sans manche avant de prendre le sens, plus exclusif, de « voile noir du deuil ». Du reste, la tradition populaire la surnomme la veuve.
La mante religieuse occupe donc une place de choix dans l’univers fantasmatique de l’humanité. Elle incarne la femme dévastatrice et castratrice, assimilée à la « Giftmadchen » qui tuait ses amants après l’amour, dans une célèbre légende allemande. Pour les psychanalystes, le sacrifice du mâle après l’accouplement symbolise « la petite mort ». Quant au peintre surréaliste A. Masson, qui a représenté de bien curieuses mantes, il est fasciné par le baiser : « cette morsure d’amour qui peut aller jusqu’à la dévoration » d’après R. Caillois.
Une mante bienveillante
Diabolique donc, la mante peut être également bénéfique, et dans certains cas, d’essence divine. Les mantes ont aussi un don d’extralucidité comme nous le rapporte cette superstition populaire : quand un voyageur s’égare, il lui suffit de suivre la direction que lui indique la mante de ses « mains jointes ». Dans une autre variante, la mante montre aux enfants égarés le bon chemin, car elle sait d’instinct où se trouve le loup !
La mante est aussi réputée pour ses vertus thérapeutiques, comme nous le rapporte, déjà au premier siècle, le médecin grec Dioscoride. Dans la pharmacopée populaire, si elle est appliquée sur les dartres, elle les faire disparaître. Dans le Gard, une oothèque de « Prego Diou » placée dans une poche suffit pour supprimer une douleur dentaire et en Provence, c’est un remède contre les engelures. La mante divinisée La mante tient une place de choix dans le panthéon d’Afrique équatoriale et d’Afrique du Sud. Dans la mythologie Bushman, une des nombreuses représentations du dieu créateur Xangwa est une mante (Kaogga), un dieu androgyne avec une tête mâle et le reste du corps femelle. Il a créé l’homme et la femme et peut à volonté les ressusciter. Cette divinité bienfaitrice est à l’origine du soleil réchauffant les hommes. Elle leur a appris à trouver les racines, les fruits et les plantes comestibles et leur a montré comment utiliser les larves d’insectes comme poison pour leurs flèches. Les Bushmens la surnomment aussi « le vieux qui fabrique le feu », car la mante symbolise la première fabrication du feu grâce à des bâtons à friction, ses pattes ravisseuses. Chaque fois qu’un Bushman croise Kaogga, il lui parle.
Comme c’est aussi un grand oracle, il répondra à toutes les questions qu’on lui posera en dirigeant et en frottant ses pattes de telle manière que seul un Bushman averti pourra comprendre ! En Afrique du Sud, les Zoulous considèrent que Mante est le dieu des Hottentots : le mythe raconte que Oananua ayant rêvé d’une mante, celle-ci vint la chercher à son réveil et de leur union naquirent les premiers Hottentots. Dans un autre conte, Oananua fut tué par Kanya. Quand Mante eut vent de la mOlt de son aimée, il terrassa Kanya après un terrible combat. Pourtant on raconte dans la forêt que Mante trouva la mort lui aussi dans la bataille et que la race des Hottentots disparut avec lui. Les sages affirment que lorsque le dieu d’un peuple meurt, ce dernier est voué à disparaître tôt ou tard. La mante est tellement vénérée qu’il suffit que l’une d’elle se pose sur un homme pour qu’il soit à son tour, sacré et honoré. Chez les Bantous, la mante est nommée « Nwambyebou », ce qui signifie: « qui coupe les cheveux ».
Ces quelques exemples, pris parmi tant d’autres, illustrent bien la grande vénération des peuples africains pour cet insecte. Mi-ange, mi-démon, la Mante religieuse incarne tous les paradoxes : les interprétations maléfiques côtoient les dévotions les plus excessives. C’est l’ambivalence, le jeu des contraires, l’attraction-répulsion qui la rendent si fascinante dans la plupalt des cultures à travers le monde. Une telle dualité ne laisse personne indifférent et lui confère une place de choix dans la trame magique de la Nature.
L’empuse et l’incroyable diablotin
L’Empuse est une espèce de Mante proche de la vorace Mante religieuse, pourtant moins batailleuse et surtout, elle n’a pas la fâcheuse habitude de dévorer son mâle.
L’Empuse a plusieurs origines. R. Villeneuve la décrit comme « une curieuse variété de démons méridiens, de sexe féminin, dont le pied gauche se termine par un sabot d’âne ». Le Dans la mythologie grécoromaine, le démon Empousa était la fille d’Hécalte (fils de Persès et d’Astéria), qui la nuit, suçait le sang des hommes endormis jusqu’à ce que mort s’ensuive. Nous avons là un bel exemple de succube !
L’Empuse est aussi un démon de midi qui casse les bras et les jambes des moissonneurs endormis dans leurs champs. Ce même démon, dans l’ancienne Russie, se déguisait en veuve pour perpétrer ses méfaits. D’autres croyances les comparent aux vampires. On peut se demander quel est le rapport entre ce paisible insecte et ces suppôts de l’enfer? La réponse est peut-être dans sa posture caractéristique, l’abdomen relevé et, pour certaines espèces, dans la forme des antennes qui ressemblent à s’y méprendre à des cornes de « boucs du diable ». Par ailleurs, sa larve est communément appelée diablotin ! Pourtant, comment ne pas être charmé par cet insecte magnifique, parfois bariolé de surprenantes couleurs ? Mais combien d’hommes ont damné leur âme en succombant aux ravissantes succubes ? Le diable seul le sait !
Plus étrange et étonnant, la larve de l’empuse ne pouvait s’appelait autrement que Diablotin. A voir le film sur BlogNature d’un de nos amis, David : La larve de l’empuse : l’incroyable diablotin